Dans la frange littorale qui va d’Avignon à Montpellier se pratique ce qu’on appelait autrefois « course libre », « course provençale » ou « course à la cocarde » et qu’on appelle plutôt aujourd’hui course camarguaise.
On fixe au front du taureau (ou de la vache) trois « attributs » : une cocarde rouge et deux glands de laine blanche. Les trois objets sont maintenus en place par des « ficelles » enroulées à la base des cornes.
Des « raseteurs », jeunes gens vêtus de blanc et tenant à la main un quadruple crochet métallique, tentent d’arracher les « attributs » du bovin qui se défend en chargeant tous ceux qui s’approchent de lui .
Pour échapper à l’animal, les raseteurs sont souvent obligés de franchir d’un bond la barrière de bois qui limite l’arène. La bête, emportée par son élan, heurte la barrière plus ou moins violemment. Ce choc, dit « coup de barrière », prouve, selon les amateurs, la combativité, la valeur de l’animal. Au bout d’un quart d’heure, le bovin, qu’il ait ou non perdu ses « attributs » , est ramené au toril et on fait sortir la bête suivante.
Diversité de la bouvine
D’autre jeux taurins coexistent avec la course camarguaise dans la même région : abrivado, bandido, bourgine, taureau-piscine, etc.
L’abrivado est l’entrée des taureaux dans une localité. Les bovins arrivent au galop, étroitement encerclés par des gardians à cheval, entre deux haies de badauds, de curieux et d’amateurs. Ces derniers s’efforcent de disloquer le cercle des gardians pour que s’échappent des taureaux. Jeu violent et dangereux, on le devine.
La « bandido » est l’opération inverse : les gardians reconduisent leurs taureaux de l’arène jusqu’au pâturage ou jusqu’au camion qui les emportera.
La « bourgine » ou « taureau à la corde », consiste à faire courir dans les rues un taureau retenu par une ou deux longues cordes attachées à ses cornes. Les cordes excitent la combativité de l’animal tout en permettant de le maîtriser au besoin. Souvent maltraité par la foule, l’animal était autrefois abattu après sa course dans les rues. Jadis très populaire, cette pratique est tombée en désuétude. Elle est aujourd’hui interdite.
Le taureau-piscine est un spectacle dit burlesque qui utilise des génisses emboulées dans une arène dont le centre est occupé par un petit plan d’eau.
Les critiques
Dans tout ce que nous venons d’évoquer, le but des hommes n’est jamais de tuer ou même de blesser les bovins, mais seulement de jouer avec eux. La différence avec la corrida espagnole et la course portugaise est donc fondamentale.
Ces jeux n’en occasionnent pas moins des blessures, parfois mortelles, et certaines pratiques sont cruelles.
Toute leur vie, les bovins de race camarguaise sont conduits par leurs gardians à coups de trident, ce qui est contraire au décret n° 80-791 du 01/01/1980 qui, dans son article 14, dispose que « l’usage d’un aiguillon, c’est-à-dire de tout objet terminé à l’une de ses extrémités par une fine pointe métallique ou une lame acérée pour exciter ou faire déplacer les animaux est interdit ».
Le quadruple crochet métallique utilisé par les raseteurs en course camarguaise blesse trop souvent les bovins. Dans ces mêmes courses, les heurts violents et répétés des animaux contre les barrières sont sources de traumatismes.
Mise à jour janvier 2023 : Des efforts ont été faits pour réduire les blessures. Ainsi, une barrette a été ajoutée au crochet afin de limiter la profondeur des blessures.
Presque tous les taureaux utilisés dans ces courses sont soumis au « bistournage », opération qui consiste à les rendre stériles en brisant, sans anesthésie, les canaux spermatiques par torsion au moyen d’une pince.
Sous prétexte d’identification, tous les bovins camarguais et tous les chevaux de gardians sont marqués au fer rouge. Le jour de ce marquage à feu, on découpe sans anesthésie les oreilles des veaux et des génisses pour leur donner une forme spécifique à chaque éleveur. C’est « l’escoussure ». Cette double opération de marquage donne lieu à une fête vendue aux touristes sous le nom de « ferrade ».
Bouvine et corrida
Loin de s’opposer entre eux, gens de bouvine et gens de corrida coexistent pacifiquement, en bonne intelligence. Les deux milieux sont d’ailleurs imbriqués. Entre Avignon et Montpellier, presque toutes les arènes sont mixtes, donnant à la fois des courses à la cocarde et des corridas. Le public des unes et des autres est pour une large part le même. Les clubs taurins de cette région sont souvent mixtes eux aussi.
L’Union des Clubs Taurins de France (UCTF), créée en 1955 sous le nom d’Union des clubs taurins Paul-Ricard, soutient indistinctement courses landaises, courses camarguaises, corridas espagnoles et courses portugaises.
Les écoles taurines de Nîmes et d’Arles forment à la fois des apprentis toreros pour les corridas et des apprentis raseteurs pour la bouvine.
Les éleveurs français de taureaux de race espagnole destinés aux corridas élèvent presque tous aussi des bovins de race camarguaise.
La bouvine doit-elle prendre la relève de la corrida ? Ce serait certes un moindre mal mais comment substituer l’une à l’autre ? Et en quoi cette substitution serait-elle nécessaire ? Là où la corrida a disparu (Bordeaux, Toulouse, Carcassonne, Marseille, Vichy, etc.) aucune tauromachie ne lui a été substituée.
On nous dit aussi parfois que nos tauromachies autochtones seraient des remparts contre la pénétration de la corrida. C’est une erreur manifeste. Les deux régions françaises où existent des traditions taurines indigènes – les Landes et le pays camarguais – sont précisément les deux régions de France où la corrida s’est le mieux implantée. Tout se passe comme si course landaise et course camarguaise avaient créé les conditions les plus propices au développement de la corrida.
Pour conclure (mise à jour janvier 2023)
Nous ne mettons pas dans le même sac les formes meurtrières et les formes non sanglantes de la tauromachie. Nous luttons contre la seule corrida.
Nous sommes favorables à un remplacement des corridas par les courses camarguaises. Cependant, nous demandons que les marquages au fer rouge, les escoussures et les castrations à vif soient obligatoirement et systématiquement pratiquées avec anesthésie ou remplacées par des techniques modernes indolores. Il est possible de pratiquer la bouvine en considérant la sensibilité des animaux et en travaillant avec les manadiers pour s’assurer que les gestes ne causent pas de souffrances inutiles. À propos des anesthésies, Henri Itier, ex-président de la Fédération des Courses Camarguaises déclare : « Ça commence, les choses se mettent en place » (Agglorieuse, janvier 2023). De fait, certaines manades ont déjà abandonné les pratiques douloureuses.
S’adapter aux évolutions sociétales en matière de condition animale, c’est aussi garantir que les traditions taurines comme la bouvine perdurent pour les générations futures.
Par ailleurs, remplacer la totalité des corridas par des spectacles taurins plus éthiques et respectueux des taureaux, c’est entendre la volonté d’une majorité de Français : 76 % sont favorables au remplacement des corridas par des courses camarguaises ou landaises (Sondage IFOP pour l’Alliance Anticorrida – 2021).