Le littoral méditerranéen français abonde en terrains marécageux. Les moustiques rendent ces lieux inhospitaliers et le sel marin les rend infertiles mais l’humidité permanente y favorise la croissance de certains herbages résistants au sel. Impropres à l’agriculture, ces solitudes sauvages sont en revanche propices à l’élevage des taureaux de combat. C’est là que vivent en semi-liberté, surveillés par des cavaliers armés de tridents, les troupeaux destinés aux corridas.
Faut-il s’attendrir devant cette carte postale ? Non : ces marécages sont riches en espèces animales et végétales rares, souvent protégées par la loi. Ainsi, près de Béziers, dans l’ancien delta de l’Aude, l’étang de Vendres abrite 45 espèces d’oiseaux sauvages qui figurent sur le livre rouge des espèces menacées en France. Autour de l’étang ont été recensées des dizaines d’espèces végétales rares dont 8 sont protégées par l’arrêté interministériel du 20 janvier 1982. Or, sur les rives de l’étang de Vendres paissent des centaines de bovins destinés aux jeux camarguais et aux corridas. Ces lourds herbivores, en broutant et piétinant, ont fait disparaître toute végétation sur de vastes surfaces. Combien de stations d’espèces végétales protégées ont été ainsi détruites ? Sur ces terres dévastées, les oiseaux et autres petits animaux ont disparu à leur tour faute de nourriture et d’abri. Les chasseurs eux-mêmes devant la raréfaction du gibier ont fini par s’émouvoir. Le Conservatoire du Littoral déplore officiellement le » surpâturage » mais n’a pris aucune mesure pour y mettre fin. Pour les pouvoirs publics, la corrida est au-dessus des lois et contrarier un éleveur de taureaux serait politiquement incorrect.
On prétend parfois que l’élevage des bovins dans les zones humides protège ces espaces naturels contre le bétonnage touristique et les promoteurs. Il n’en est rien. Alain Tamisier, chercheur du CNRS, a prouvé qu’en Camargue, les pâturages de taureaux ont beaucoup reculé devant d’autres activités plus rentables : marais salants, riziculture et surtout urbanisation touristique. Non seulement les troupeaux de taureaux ne protègent pas les zones humides contre les convoitises des hommes d’affaires mais ces troupeaux sont eux- mêmes un fléau pour ces espaces naturels.