L’espèce humaine est animée par une pulsion agressive qui, si elle n’est pas maîtrisée, peut dégénérer en sadisme.
Selon certains » penseurs « , la corrida, par son outrance sanguinaire, offrirait, aux spectateurs sadiques, des jouissances qui les dispenseraient de s’en prendre aux êtres humains . Le voluptueux spectacle du crime procurerait aux criminels en puissance une satisfaction suffisante pour qu’ils n’aient plus besoin de passer aux actes.
Si cette thèse était vraie, nous tiendrions la solution pour supprimer la criminalité sadique. Mais la réalité est quelque peu différente comme on le verra par quelques exemples :
A/ Un cas typique de comportement meurtrier directement déclenché par un spectacle violent est précisément celui des » aficionados practicos « . Ce sont des spectateurs de corridas qui, sans vouloir devenir des toreros professionnels, veulent néanmoins eux aussi massacrer des bovins.
lls satisfont cette pulsion au cours de corridas privées organisées chez des éleveurs. Leur inexpérience et leur maladresse provoquent d’horribles carnages.
B/ La montée de la violence juvénile est devenue une préoccupation nationale et même mondiale. La télévision déconseille aux parents de laisser voir aux enfants les films de violence. A-t-elle tort ?
C/ Sous l’empire romain, dans les amphithéâtres, le peuple entier se délectait à voir tuer du lever au coucher du soleil. Le matin était consacré aux combats entre hommes et fauves. Après ces massacres, les spectateurs, loin d’être rassasiés par le sang animal, exigeaient du sang humain et l’après-midi tout entière était consacrée à d’innombrables combats de gladiateurs.
La passion pour ces tueries était-elle un simple et salubre goût du sport ? Non : contrairement aux Grecs, les Romains méprisaient le sport. D’ailleurs, après chaque combat, les spectateurs exigeaient souvent que le gladiateur vaincu fût égorgé par son vainqueur.
Était-ce là du sport ? Par un raffinement de cruauté, les combattants avaient parfois les yeux bandés. Ils frappaient à l’aveuglette et ne pouvaient parer les coups qu’ils recevaient. Où était le sport dans de pareilles boucheries ? Des esclaves entretenaient des brasiers et brûlaient au fer rouge, à la demande du public, tout gladiateur qui ne montrait pas assez d’ardeur au combat. Le sadisme, on le voit, ne demande qu’à devenir un phénomène de masse.
Gorgés de tels spectacles, plusieurs dizaines de jours par an, les Romains devinrent-ils doux et pacifiques ? Au contraire. De tous les peuples antiques, ils furent le plus cruel, le plus belliqueux, crucifiant leurs esclaves par milliers, rasant des villes entières comme Carthage, guerroyant sans trêve contre le monde entier pendant près de mille ans. Tout se passe comme si les cruautés de l’amphithéâtre, loin d’apaiser l’agressivité, avaient été un instrument aux mains de l’État romain pour endurcir la population, la rendre féroce, former un peuple cruel et guerrier.
Or, la corrida ne se contente pas de banaliser la torture et la mort violente. Elle les exalte, les vante, prétend les élever au rang des beaux arts. Les bourreaux sont promus héros et artistes, adulés par presque tous les médias. Que ferait-on de plus si on voulait inciter au sadisme ?