À la suite de la campagne 2023 de participation citoyenne menée par la Cour des comptes et les chambres régionales, la Chambre régionale des comptes (CRC) Occitanie a enquêté sur le soutien public à la corrida dans plusieurs collectivités, autour de deux questions :
quels sont les soutiens publics apportés à la corrida (financiers, matériels, directs ou indirects) ?
ces spectacles génèrent-ils des retombées économiques et touristiques pour le territoire ?
Le 8 avril 2025, la CRC a publié son rapport portant sur la commune de Béziers, l’École taurine Béziers Méditerranée et la Fédération des clubs taurins du Biterrois.
Le constat est sans appel :
- La Ville a massivement subventionné la corrida, avec 796 200 € de fonds publics alloués à la tauromachie espagnole et à son environnement entre 2019 et 2023 – hors participation aux travaux de restauration et d’entretien des arènes – ce que dénonce le COLBAC depuis de nombreuses années.
- Les retombées économiques ne sont pas démontrées, alors que les coûts publics, eux, sont parfaitement identifiés.
- Le soutien public aux corridas est bien plus important qu’il n’y paraît, en raison de trois manquements dans la comptabilisation, la valorisation et la transparence des aides, ayant donné lieu à trois recommandations de la CRC transmises à la Ville en novembre 2024, dont aucune n’a été pleinement appliquée à ce jour.
Dans cet article, nous détaillons les principaux enseignements du rapport.
Dans le cadre de cette enquête portant sur Béziers, le COLBAC a été entendu par une magistrate de la CRC et a transmis l’ensemble des documents issus de ses enquêtes sur le financement de la tauromachie, menées localement depuis plusieurs années. Nous remercions la CRC pour la qualité de l’écoute des échanges.
1. Comment se répartissent les 796 200 € de soutien public à la corrida
La Chambre régionale des comptes distingue plusieurs formes de soutien public à la tauromachie entre 2019 et 2023, pour un montant total de 796 200 €. Nous en proposons un résumé dans le tableau ci-dessous, suivi d’un détail pour chaque poste.
Catégorie de soutien | Détail | Montant |
---|---|---|
1. Soutiens directs à l’organisation des corridas | ||
■ Fonctionnement des arènes | Loyers nets, fluides (eau, électricité), maintenance – au bénéfice direct de l’organisation des corridas | 385 851 € |
■ Sponsoring | Versé à BETARRA, société organisatrice des corridas | 43 750 € |
■ Subventions spécifiques | École taurine Béziers Méditerranée + Union des Villes Taurines de France (UVTF) | 90 000 € |
2. Soutiens indirects à la tauromachie (hors organisation des corridas) | ||
■ Subventions aux clubs taurins | Associations de promotion de la tauromachie | 98 000 € |
■ Aides en nature | Mise à disposition gratuite de salles, matériel, moyens municipaux | 178 599 € |
TOTAL | 796 200 € |
1.1 - Frais de fonctionnement des arènes
Il est essentiel de ne pas confondre les frais de fonctionnement des arènes (385 851 € – loyers nets, eau, électricité et maintenance), qui ont bénéficié directement à l’organisation des corridas, avec les subventions d’équipement (494 918 €), versées aux propriétaires des arènes pour participer aux travaux de restauration et d’entretien de l’édifice. La CRC distingue clairement ces deux types de dépenses : les subventions d’équipement ne sont pas comprises dans les 796 200 € de soutien public direct à la tauromachie. En revanche, les frais de fonctionnement, eux, le sont puisque la collectivité a assumé ces dépenses pour permettre l’organisation des corridas.
⇒ Il est donc faux d’affirmer, comme on a pu le lire dans la presse, que la plus grande partie du soutien public à la corrida serait allée à l’entretien du bâtiment : cette affirmation procède d’une confusion entre frais de fonctionnement et subventions d’équipement.
La CRC note d’ailleurs que, sur la période, l’usage réel des arènes par la Ville de Béziers était « très accessoire » (limité à quelques jours par an pour la feria) ce qui rend le coût pour la collectivité encore plus significatif.
La CRC évalue le coût global des arènes (frais de fonctionnement + subventions d’équipement) à 880 769 € (tableau ci-dessous).

Rappel : Pourquoi la commune a-t-elle payé des loyers ?
Les arènes de Béziers n’appartiennent pas à la Ville, mais à une société anonyme privée (la SA des Arènes), regroupant quelques actionnaires. De 2019 à 2023, la commune a loué les arènes à leur propriétaire, puis les a sous-louées à des sociétés privées organisatrices de corridas (SA Plateau de Valras, puis SA BETARRA). La CRC souligne que ce montage a coûté cher à la collectivité, qui a payé un loyer annuel, alors que les arènes n’étaient utilisées que pour les corridas de la feria. Il s’agit ici du coût net pour la Ville (loyers versés, déduction faite des loyers perçus et exonérations accordées).

Depuis 2024, BETARRA loue directement les arènes. L’objectif affiché par la commune est de diversifier l’usage du lieu, en y accueillant des événements tauromachiques et non tauromachiques. (En réalité, c’est un nouveau cadeau de R. Ménard à BETARRA – Lire notre article : Jackpot pour BETARRA). Mais selon la CRC, la viabilité de ce nouveau modèle reste incertaine : le système est encore « à la recherche de sa pérennité » selon les termes même du rapport. En d’autres termes, rien ne garantit que BETARRA pourra maintenir seule l’exploitation rentable des arènes.
1.2 - Sponsoring
Entre 2021 et 2023, la Ville a versé 43 750 € à la société BETARRA, organisatrice des corridas (12 250 € en 2021, 15 250 € en 2022 et 16 250 € en 2023) en échange d’une visibilité sur les billets, dans le programme et dans les gradins des arènes. La CRC nous apprend que ce sponsoring représente 1,2 % des recettes totales de la tauromachie espagnole pour les trois saisons 2021, 2022 et 2023.
Plus de 40 000 € payés par les Biterrois… pour associer leur ville à la barbarie, au sang et à la souffrance animale : une bien curieuse manière de défendre l’intérêt général, selon Robert Ménard !
1.3 - SUBventions à l'ecole taurine et à l'uvtf

- Subvention déguisée à l’école taurine :
Jusqu’en 2020, la Ville versait une subvention annuelle de 30 000 € à l’école taurine de Béziers qui enseigne la torture des taureaux aux jeunes. Ce soutien direct a cessé officiellement en 2021.
Mais depuis, le financement n’a pas disparu : il a simplement été délégué à la société organisatrice des corridas. Dans la convention conclue avec la Ville, BETARRA s’est engagée à reverser à l’école taurine un euro par billet vendu, ce qui a représenté 17 153 € en 2021, 24 164 € en 2022 et 29 312 € en 2023.
Ce mode de financement indirect constitue une forme de subvention publique déguisée, puisque BETARRA bénéficie elle-même de financements municipaux.
La CRC épingle également l’école taurine : le 16 août 2020, elle a organisé un festival et reversé les fonds à l’hôpital de Béziers. Problème : ni l’événement ni le don ne sont conformes à ses statuts, rappelle la CRC. L’école s’est visiblement découvert une vocation caritative… qui ne figure pas dans son objet social. Mais après tout, dans le milieu taurin, on ne s’encombre pas de règles : la légalité, c’est pour les autres.
À Béziers, l’argent public continue de soutenir l’apprentissage de la corrida, bien que la municipalité n’en assume plus directement la gestion. La CRC souligne que la convention impose à BETARRA des tarifs attractifs pour les enfants dès 7 ans, afin d’« élargir la base du public ». La Ville favorise ainsi l’accès des plus jeunes à la barbarie tauromachique.
- L’adhésion à l’UVTF : soutien politique actif à la corrida
Outre une cotisation annuelle de 5 000 €, la Ville de Béziers joue un rôle très actif au sein de l’Union des Villes Taurines de France (UVTF), l’organisme chargé de défendre et promouvoir les corridas en France.
Depuis 2023, Béziers assume la vice-présidence de l’UVTF pour une durée de trois ans. À ce titre, elle collabore à la rédaction et à la mise à jour du règlement taurin, et intègre ce règlement dans ses arrêtés municipaux.
Par ailleurs, conformément aux exigences de l’UVTF, la Ville a constitué une Commission Taurine Extra-Municipale (CTEM) chargée de superviser la « conformité » des corridas.
Ainsi, la Ville s’implique directement dans l’organisation et la promotion des corridas, lui apportant un soutien politique qui va bien au-delà des seules aides financières.
1.4 - LES CLUBS TAURINS, GORGéS DE FONDS PUBLICS

Entre 2019 et 2023, la Ville de Béziers a versé 15 000 € de subvention annuelle à la Fédération des clubs taurins du Biterrois (FCTB), principal financeur de cette structure.
À ces aides financières s’ajoutent des mises à disposition gratuites de salles municipales, de matériel et de personnel, notamment pour les journées taurines (conférences, remises de prix, galas). Leur valeur a été estimée par les services municipaux à 20 952 € en 2021, 18 292 € en 2022 et 9 588 € en 2023.
Résultat : le soutien réel dépasse chaque année le seuil légal de 23 000 €, à partir duquel une convention d’objectifs, précisant les conditions d’utilisation de la subvention, est obligatoire. Or, aucune convention n’a été signée, contrairement aux obligations de transparence fixées pour les financements publics.
Pire encore : la CRC constate que les comptes de la FCTB sont insuffisamment détaillés, empêchant de relier clairement les dépenses aux événements subventionnés (tientas, conférences, remises de prix, etc.). Impossible donc d’évaluer l’utilisation réelle de l’argent public.
Non seulement les clubs taurins sont grassement subventionnés, mais en plus, tout n’est pas valorisé clairement ni contrôlé ! La ville accorde des aides sans savoir l’utilisation qui en est faite, au mépris des règles de bonne gestion publique.
2. La feria : un événement festif… au service de la corrida
La Ville de Béziers prend en charge l’organisation complète de la feria, mobilisant ses services municipaux. En 2022 et 2023, la CRC évalue le coût annuel de cet événement à environ 1,5 million d’euros.
La CRC indique que les aides publiques liées à la tauromachie représentent, selon les années, entre 108 000 € et 157 000 €, soit de 7 % à 11 % du budget de la feria.
Par ailleurs, la chambre souligne que certaines dépenses échappent à toute comptabilisation, notamment la communication assurée par la Ville. Elle demande que ces éléments soient intégrés au suivi comptable. Un exemple frappant, non cité, mais évident : l’affiche officielle de la feria, qui promeut chaque année les corridas, sans que ce soutien soit comptabilisé comme tel. Ce point a d’ailleurs été signalé par le COLBAC à la magistrate de la CRC.
La CRC met ainsi en évidence un soutien réel à la tauromachie, qui reste partiellement dissimulé dans les comptes de la collectivité.
3. LA CORRIDA N'EST PAS UN LEVIER ÉCONOMIQUE IDENTIFIÉ
La CRC souligne qu’aucune retombée économique spécifique aux corridas n’est identifiée. Les données disponibles concernent la fréquentation globale de la feria, sans permettre de mesurer l’impact réel de la tauromachie en tant que telle.
Elle constate que le mois d’août correspond au pic touristique de l’année, avec un taux d’occupation maximal et un tiers des recettes de taxe de séjour. Mais elle précise qu’aucun lien de causalité direct ne peut être établi entre cette affluence estivale et la tenue des corridas.
Autrement dit, la corrida profite de la feria sans en être le moteur, ce qui démonte l’argument récurrent de la Ville pour justifier son financement.
La CRC enfonce le clou en rappelant qu’aucune étude n’atteste de retombées économiques liées à la corrida, ni à Béziers, ni ailleurs.
Concernant la filière élevage, la CRC est tout aussi claire : l’élevage de taureaux de « combat » est une activité ultra-minoritaire, avec 4 637 animaux recensés dans l’Hérault, dont 3 367 adultes — une portion négligeable du cheptel régional et national. Seule une infime part est destinée aux arènes, et la majorité des taureaux achetés pour la corrida proviennent d’Espagne. Autant dire que l’argument d’un « soutien à l’économie locale » relève du mythe et non d’un fait établi.
En résumé : la corrida coûte cher aux contribuables… sans rien rapporter en retour. Les subventions qui lui sont allouées ne se justifient pas économiquement.
4. Trois manquements majeurs relevés par la Chambre régionale des comptes
La CRC épingle la Ville de Béziers pour ses manquements aux règles de transparence et de rigueur budgétaire. Les recommandations de la Chambre régionale des comptes visent à corriger les dysfonctionnements relevés dans la gestion des finances publiques. Trois recommandations ont été formulées (et notifiées à la Ville avant la publication du rapport), aucune n’a été pleinement mise en œuvre.
1. Aides en nature invisibles dans les comptes
La Ville met gratuitement à disposition de la société BETARRA des biens publics (Maison des Mayorales, corrales, parvis des arènes), sans aucune valorisation comptable, alors même qu’elle en retire en échange des places gratuites et l’usage de salles. Ce montage, contraire aux principes de gestion du domaine public, masque l’ampleur réelle du soutien public à la tauromachie.
La CRC demande une évaluation précise de ces avantages mutuels.
2. Attribution opaque de milliers de billets gratuits
Entre 2019 et 2023, 10 000 places gratuites ont été remises à la Ville, dont 7 450 pour des spectacles tauromachiques. Pour la seule feria 2023, cela représente 45 000 € de places offertes.
Ces billets sont redistribués sans aucune règle claire : aux élus, aux agents, à des « personnalités », dans une totale opacité. La CRC réclame une charte encadrant ces attributions.
Cette distribution opaque de billets gratuits contribue à légitimer artificiellement la corrida, à en remplir les gradins, et à renforcer les réseaux d’influence du milieu taurin au cœur même de la municipalité.
3. Soutiens publics non encadrés aux clubs taurins
La Ville dépasse le seuil légal de 23 000 € d’aides (subventions + mises à disposition) à certaines associations taurines, notamment la FCTB. Or, aucune convention n’a été signée, comme l’exige pourtant la loi pour garantir l’encadrement et la transparence de ces financements publics. La CRC demande à la Ville de régulariser la situation, mais la recommandation reste partiellement appliquée.
Au total, la Chambre régionale des comptes met en lumière un système de soutien public à la corrida largement sous-estimé, mal encadré, et non visible dans les comptes. Une gestion qui bafoue les règles de transparence auxquelles toute collectivité est tenue.
5. LE MUSÉE TAURIN, SYMBOLE DU DÉSINTÉRÊT PUBLIC
Installé dans un bâtiment communal, le musée taurin est mis gratuitement à disposition de l’Union Taurine Biterroise (UTB). La Ville prend en charge l’eau, l’électricité, le nettoyage, la maintenance, le gardiennage, et accorde ponctuellement des subventions (4 000 € en 2022 pour une exposition temporaire).
Le musée n’est ouvert au public que de juillet à septembre, ainsi qu’exceptionnellement lors d’événements taurins (féria d’août, journées taurines de mai). L’entrée est gratuite pour les Biterrois et les habitants de l’agglomération via la carte « Béziers Musées », et également gratuite pendant les manifestations taurines.
La seule donnée de fréquentation disponible, celle de 2024, fait état de 1 538 visiteurs, dont 1 237 entrées gratuites, concentrées principalement sur les Journées du patrimoine et les temps forts taurins. Bilan : environ 300 visiteurs réellement payants dans l’année.
Ce chiffre contraste fortement avec les discours vantant la « popularité » de la culture taurine. Si la tauromachie était réellement au cœur de l’identité biterroise et un levier d’attractivité touristique, pourquoi le musée qui lui est dédié n’est-il accessible que quelques semaines par an, et gratuit la plupart du temps ?
6. RÉPONSE DE ROBERT MENARD
Lors du conseil municipal du 7 avril au cours duquel – comme le prévoit la loi – le rapport de la CRC a été présenté et débattu (lire la délibération), Robert Ménard a salué l’étude de la CRC, affirmant qu’elle avait été menée « sans parti pris », en cherchant à « comprendre le monde taurin » et qu’elle démontrait « une culture taurine historiquement ancrée dans le Biterrois ».
Cette déclaration détourne le sens et la mission de la Chambre régionale des comptes, et réinterprète les conclusions de l’étude à des fins de propagande. Le rôle de la CRC n’est pas de comprendre ou de juger la tauromachie, mais de contrôler l’usage de l’argent public, d’en mesurer la pertinence, la légalité, la transparence.
Robert Ménard assume pleinement ce soutien financier très important à la corrida au nom de « l’identité biterroise » et du supposé rôle d’attractivité de la tauromachie pour la ville.
Mais si la corrida était réellement aussi enracinée dans la culture locale, si elle rencontrait un tel succès populaire et économique, pourquoi faudrait-il injecter autant d’argent public pour la faire exister ?
CONCLUSION
Le rapport de la Chambre régionale des comptes est sans équivoque : la corrida coûte cher aux contribuables, sans bénéfice démontré pour la collectivité. À Béziers comme ailleurs, aucune retombée économique identifiable, seulement des subventions massives pour maintenir à flot une pratique barbare et anachronique.
Alors que la CRC souligne des manquements graves dans la gestion des subventions, Robert Ménard détourne le sens du rapport pour glorifier un soi-disant ancrage culturel.
En réalité, sans argent public, il n’y aurait plus de corridas. C’est cela que révèle ce rapport : la corrida survit artificiellement, perfusée par les finances publiques.
