Les taureaux ne souffrent pas
Quand vous marchez par mégarde sur la queue d’un chien, il hurle et fait un bond. Preuve qu’il a mal. Si les cavaliers emploient éperons et cravache, c’est bien parce que les chevaux sont comme nous sensibles à la douleur. Quiconque observe des bovins au pâturage constate qu’une simple piqûre de taon (mouche suceuse de sang) suffit pour qu’une vache bondisse et s’enfuie au galop. Les bovins sont donc aussi sensibles que nous.
Autrefois, pour stimuler les bœufs qui tiraient une charrue, les laboureurs utilisaient un aiguillon. Cet instrument est aujourd’hui interdit par le décret du 1er janvier 1980. C’est la reconnaissance officielle que les bovins doivent être protégés parce que sensibles à la douleur. On peut donc imaginer ce qu’endurent les taureaux auxquels on plante dans le dos plusieurs paires de harpons dont les manches se balancent continuellement, tournant et retournant chaque fer dans chaque blessure.
La partie agissante de la pique du picador, de la pointe au butoir, mesure près de 10 cm. Mais comme la chair est élastique et que les picadors pèsent de tout leur poids sur leur pique, les trous qu’ils creusent ont une profondeur moyenne d’une vingtaine de centimètres et peuvent atteindre 30 centimètres. Ces trous sont ouverts tout contre la colonne vertébrale, zone sensible s’il en est. Si les aficionados considèrent le picador comme le meilleur test de la bravoure d’un taureau, c’est parce qu’il faut à cet animal beaucoup de vaillance, après avoir ressenti la morsure de la pique, pour poursuivre la lutte contre les picadors.
L’affirmation répétée que les taureaux ne souffrent pas au cours d’une corrida est une preuve éclatante de la mauvaise foi du milieu taurin. Et que dire des mises à mort souvent interminables ? Le 18 octobre 1998, à Béziers, un taurillon de trois ans a reçu, comme » coup de grâce » une trentaine de coups de poignard à la nuque.
→ Lire notre page » Souffrances animales «
→ Lire notre article » Les contre-vérités scientifiques de l’ONTC et de la FCTB «
L'arène vaut mieux que l'abattoir
« Le destin de tous les bovins, y compris de ceux qu’on tue dans les arènes, est de finir dans nos assiettes. Mourir pour mourir, mieux vaut pour eux une mort glorieuse en corrida qu’une mort sordide à l’abattoir. » nous répète-t-on.
La mort à l’abattoir doit réglementairement être donnée sans que la victime la sente ou la voie venir. Certes, cette réglementation est largement insuffisante et partiellement respectée, mais elle existe. Dans un abattoir, la douleur n’est pas recherchée. L’animal doit mourir rapidement. C’est l’intérêt non seulement de l’animal mais aussi du consommateur car la souffrance et le stress fabriquent des toxines qui rendent la viande mal propre à la consommation. Pour le consommateur comme pour l’animal, la fin à l’abattoir est donc nettement préférable au long supplice de l’arène où le taureau n’expire qu’après vingt à trente minutes de torture, d’efforts violents, de terreur et de stress.
Quant au besoin de gloire et de mort glorieuse, c’est une vanité purement humaine. Elle est étrangère aux animaux, sur ce point moins bêtes que beaucoup d’hommes.
Par ailleurs , pourquoi opposer les souffrances ? Il faut toutes les combattre.
Ceux qui font souffrir des animaux dans des laboratoires ou dans des élevages industriels peuvent invoquer pour leur défense qu’ils n’agissent pas pour leur plaisir mais poussés par certaines nécessités. En corrida, au contraire, c’est pour divertir le public qu’on torture à mort des êtres sensibles. La corrida est la seule activité humaine où torture et mort violente sont vantées, exaltées, élevées au rang des beaux arts.
La corrida, " duel loyal "
» La corrida est un duel loyal et équilibré entre la force brutale d’un taureau sauvage et l’intelligence d’un homme » disent les aficionados. Cette affirmation est un tissu de mensonges.
D’abord, le taureau n’est pas une bête sauvage mais un animal domestique. Au pâturage, loin d’attaquer l’homme, il le fuit.
Ensuite, la corrida oppose non pas un homme mais six (trois banderilleros, deux picadors, un matador agissant en équipe et longuement entraînés) à un seul animal très jeune (rarement plus de quatre ans et souvent moins), totalement inexpérimenté, qui n’a jamais combattu d’hommes. Cette inégalité flagrante est aggravée par toute une série de fraudes rarement perçues par les spectateurs mais sans cesse dénoncées par les chroniqueurs taurins :
A/ L’AFEITADO
Cette fraude consiste à scier l’extrémité des cornes dont on refait éventuellement les pointes quand on veut cacher l’escroquerie. Plus les cornes sont courtes, moins elles sont dangereuses. D’autre part, comme cette mutilation est commise peu de temps avant la corrida, l’animal n’a pas le temps de s’habituer à la nouvelle longueur de ses armes et ne peut y adapter son coup de tête. Ensuite, l’afeitado met plus ou moins à nu l’intérieur de la corne qui est charnu et innervé, donc sensible. Au moindre coup de corne contre un arbre, un pieu ou une clôture, l’animal éprouve de la douleur et le jour de la corrida, il retiendra ses coups. Enfin, pour afeiter un taureau, il faut l’immobiliser. Pendant l’opération (une demi-heure), la victime se débat de toutes ses forces, ce qui provoque déchirures musculaires et lésions diverses. Afeiter un taureau, c’est le rendre plus ou moins invalide. L’afeitado est pourtant autorisé dans la plupart des courses de taureaux ibériques. Même quand il est interdit, il est très rarement sanctionné.
B/ LA DROGUE
Les taureaux jugés redoutables peuvent être abrutis par des drogues . Le livre « Entre campos y ruedos » édité en 1991 par le Collège des Vétérinaires Espagnols contient tout un chapitre consacré aux drogues administrées aux taureaux de corrida. L’éventail des produits employés est extrêmement large. Tous ont pour propriété de perturber le système neurovégétatif (perturbation de la jonction neuromusculaire, perturbation de la fonction digestive, bradycardie, …) Les substances ci-dessous sont employées :
– dépresseurs cérébraux, circulatoires, cardio-respiratoires, digestifs, métaboliques, énergétiques ;
– autres types de dépresseurs affectant le système nerveux périphérique et ganglionnaire.
Pour affecter le système nerveux central on emploie :
– barbituriques (entraînant une diminution de la force musculaire, des troubles locomoteurs, des troubles de l’équilibre, de la bradycardie),
– tranquillisants morphiniques (altération de l’état de conscience, dépression cardio-respiratoire)
– xylozine type rompun : anesthésique puissant provoquant un effet hypnotique, une diminution de la fréquence cardiaque et respiratoire, une diminution du tonus musculaire, …) etc.
En corrida, les taureaux montrent souvent des traces de diarrhée. Celle-ci est parfois provoquée délibérément pour affaiblir l’animal. Les conséquences d’une forte diarrhée sur l’organisme sont multiples :
– déséquilibre du système neurovégétatif ;
– déshydratation (alors que les corridas ont fréquemment lieu par grande chaleur) ;
– perte en minéraux, notamment sodium et potassium (faiblesse musculaire, désordres au niveau de la transmission de l’influx nerveux) ;
– accélération du rythme cardiaque ;
– dysfonctionnements des fonctions rénales et cérébrales ;
– éventuellement, spasmes digestifs avec sensations douloureuses.
C/ LA SURALIMENTATION
En Espagne et même en France, très rares sont les éleveurs de taureaux de combat qui disposent de pâturages suffisants pour nourrir leurs bovins à l’herbe. L’alimentation au » pienso compuesto » (nourriture artificielle où on trouve de tout, y compris parfois de la farine de poissons) donne des taureaux énormes, dont la masse impressionne les spectateurs mais trop gras, trop lents, trop mous pour soutenir un combat.
D/ LES MALADIES
Les examens vétérinaires post mortem montrent que même dans la plus illustre arène française (Nîmes), la moitié des taureaux tués en corridas étaient atteints de maladies graves : tuberculose, néphrite, pneumonie, etc.…
E/ COUPS DE PIQUE MAL PLACES
Les picadors, bien à l’abri sur leurs lourds chevaux de trait caparaçonnés, infligent au taureau, à coups de pique, des blessures à la fois hémorragiques et paralysantes tout contre la colonne vertébrale. En coupant des muscles et des nerfs locomoteurs ou en lésant des vertèbres, les picadors peuvent, à la demande du matador, leur chef d’équipe, rendre un taureau infirme dès les premières minutes du prétendu « combat » .
F/ COUPS DE BARRIÈRE
Si un taureau est jugé dangereux, on peut l’affaiblir dès sa sortie du toril. Un torero, placé contre la barrière en bois qui entoure l’arène, provoque, en agitant un « capote », la charge du taureau. Au dernier moment, l’homme s’efface et l’animal emporté par son élan, percute la barrière de plein fouet. Il peut s’y assommer et même se briser une corne.
G/ LA SÉLECTION GÉNÉTIQUE
Le taureau de corrida actuel est le résultat de plusieurs siècles de sélection génétique. Les éleveurs sont parvenus à produire :
– Des taureaux » nobles « , c’est-à-dire à charge franche et régulière, toujours identique à elle-même, sans imprévu et donc sans danger.
– Des taureaux » suaves » (c’est le terme officiel), c’est-à-dire qui courent lentement, mufle au ras du sol et n’achèvent jamais leur charge par ce coup de tête terminal que les toreros craignent tant.
– Des taureaux candides qui chargent naïvement des chiffons au lieu d’attaquer les hommes qui agitent ces chiffons. Les toreros peuvent aussi diriger à leur gré tous les mouvements de la bête. Au lieu de combattre l’homme, l’animal lui obéit.
Lors des » tientas » (épreuves de sélection), les génisses qui ne montrent pas les « qualités » ci-dessus sont vendues au boucher et ne deviennent jamais mères de taureaux de combat.
Les éleveurs ont été si loin dans la recherche du taureau commode et collaborateur que de nombreux spectateurs s’en indignent, jugeant qu’un taureau inoffensif produit une corrida sans émotion donc sans attrait. Certains tauromaniaques prétendent agir pour rétablir » l’éthique » de la corrida. Une tauromachie sans fraudes, un duel loyal et vraiment équilibré, à supposer que ce soit possible, feraient une hécatombe de toreros. Condamnée à balancer entre la fraude et l’homicide, la corrida est contraire à toute morale.
L'héroïsme des toreros
Les fraudes réduisent à bien peu de choses le danger couru par les toreros. Les matadors vedettes, parce que très demandés par toutes les arènes du monde, peuvent dicter leurs conditions. Ces héros d’opérette exigent toujours du bétail commode et collaborateur. Les grandes arènes, pour pouvoir mettre à l’affiche les vedettes de la tauromachie, sont contraintes d’accepter toutes les fraudes. Quant aux petites arènes, pas assez riches pour offrir de gros cachets aux toreros, elles ne peuvent exiger d’eux qu’ils risquent leur vie. La fraude est donc générale. C’est pourquoi depuis 1948, seuls six matadors ont été tués dans les arènes d’Europe, soit un tous les quinze ans. C’est six morts de trop mais un automobiliste risque davantage sa vie et nul ne voit en lui un héros.
L'argument de la tradition
La corrida serait une tradition si ancienne que ses origines se perdraient dans la nuit des temps. Et toute vieille tradition serait vénérable, voire sacrée. A ce mensonge, notre réponse est triple :
A/ La corrida, loin d’être une coutume immémoriale, est de création récente. Jusqu’au XVIIIe siècle, la tauromachie ne fut pas un métier mais un exercice mi-sportif, mi-guerrier. Des nobles à cheval s’exerçaient à tuer des taureaux à coups de lance. En 1700, le Français Philippe d’Anjou monta sur le trône d’Espagne. Pour plaire au souverain qui détestait la tauromachie, la noblesse cessa de toréer. Sans souci des traditions…
A côté de la pratique aristocratique qui disparaissait ainsi, existait alors un divertissement populaire : dans un espace clôturé, on lâchait un taureau et quiconque voulait étaler son courage pouvait affronter l’animal dans un combat dépourvu de toute règle. Le bovin se débattait mais finissait par succomber sous le nombre de ses bourreaux comme un sanglier acculé par une meute de chiens. Nous étions donc bien loin de la corrida actuelle.
C’est seulement vers 1800 que la tauromachie espagnole commença à ressembler à la corrida d’aujourd’hui avec toreros professionnels et début de réglementation. Nul alors ne se souciait d’esthétique. Aux toreros on demandait seulement d’avoir assez de courage et d’agilité pour affronter des bêtes qu’on souhaitait féroces. La vedette du spectacle n’était pas alors le matador mais le picador. Les montures n’étaient protégées par aucun caparaçon et elles étaient souvent éventrées et renversées. On cite des taureaux ayant massacré une dizaine de chevaux avant d’être eux-mêmes mis à mort. Ces atrocités passionnaient le public bien plus que les prestations des banderilleros et du matador, acteurs moins spectaculaires. Les étripages de chevaux finirent par éveiller la pitié du public et l’indignation des touristes étrangers. En 1928, le dictateur espagnol Primo de Rivera imposa la protection des chevaux par un caparaçon matelassé. Des chevaux de trait, plus lourds et plus difficiles à culbuter, remplacèrent les maigres chevaux de selle du siècle précédent. L’engagement des picadors perdit ainsi son caractère dramatique et l’intérêt du public se déplaça des cavaliers aux piétons. La corrida-carnage se transformait en un nouveau spectacle à prétention chorégraphique dont le matador devenait la seule vedette.
Et l’évolution continue sous nos yeux : les picadors sont devenus les acteurs les plus impopulaires de la « Fiesta brava ». Dès leur entrée en piste, ils sont parfois hués par une partie du public. La prochaine mutation de la corrida sera peut-être la disparition du tercio de pique. Bref, loin d’être un vieux rituel figé, la corrida est une création récente et en évolution permanente. Elle ne cesse de se renier elle-même, offrant un parfait exemple du mépris des traditions.
B/ Notons que la guerre, le cannibalisme, l’esclavage, le machisme, la pédophilie sont des traditions infiniment plus anciennes que la corrida. Est-ce une raison pour les honorer et les perpétuer ?
C/ Aucun progrès n’est possible sans l’abandon d’une coutume. S’il fallait s’en tenir aux traditions, nous vivrions encore comme nos lointains ancêtres pithécanthropes. Or, les amateurs de banderilles ne semblent pas regretter l’âge des cavernes : ils utilisent sans sourcilier les nouvelles technologies et sont les premiers à s’assoir sur les traditions.
La corrida fascine les artistes
D’innombrables artistes et écrivains se sont élevés contre la tauromachie : Victor HUGO, Émile ZOLA, ou, encore, le prix Nobel de littérature Claude SIMON, etc… Mais le milieu taurin feint de l’oublier. » La preuve que la corrida est un spectacle sublime c’est que beaucoup d’artistes l’adorent et en ont fait le sujet de leurs œuvres. » nous dit-on, et on nous cite invariablement le photographe Lucien CLERGUE , les romanciers MONTHERLANT et HEMINGWAY, les peintres GOYA et PICASSO. Les artistes n’étant pas plus sains que le reste de l’humanité, on trouve parmi eux toutes les formes de déviance : Jean-Jacques ROUSSEAU, père dénaturé, abandonnait tous ses enfants à leur naissance. BAUDELAIRE se droguait. Est-ce une raison pour les imiter ?
Nous savons aussi que les artistes sont souvent tentés par des sujets horribles. Le romancier STENDHAL estimait que le malheur est bien plus facile à évoquer que le bonheur. Les plus belles œuvres des poètes romantiques sont la mise en vers de leur mal de vivre. » Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. » L’amour heureux a inspiré bien peu de chefs-d’œuvre. En revanche l’ amour malheureux nous a donné « Médée « , » Othello « , » Roméo et Juliette « . La guerre, le crime ont inspiré d’innombrables artistes. Le chef-d’œuvre de Picasso « Guernica » montre une population massacrée par des bombardements. D’innombrables et grands artistes ont représenté la crucifixion de Jésus et la souffrance de sa mère. Est-ce une raison pour vouloir le malheur ? Faut-il déclencher une troisième guerre mondiale et crucifier d’autres Jésus pour faire éclore de nouveaux chefs-d’œuvre ?
La corrida, art majeur
A en croire les amateurs de tauromachie et les chroniqueurs taurins, la corrida serait devenue l’un des beaux arts, voire un art majeur.
Notons que cette prétention est toute récente : elle ne remonte qu’à la première moitié du 20ème siècle, époque où certains matadors s’illustrent par une nouvelle manière de toréer : au lieu d’esquiver l’animal par de brusques écarts, ils cherchent à dévier sa charge par de lents mouvements de cape et à faire tourner la bête autour d’eux pour enchaîner la passe suivante. Ils dessinent ainsi sur le sable des courbes et l’étoffe du leurre tournoie parfois comme la robe d’une danseuse. A cela se résume la » beauté » d’une corrida. C’est un peu court pour prétendre à l’esthétisme.
Est-on un artiste parce qu’on endosse un costume de carnaval, qu’on cambre vaniteusement la taille, qu’on prend des poses de matamore et qu’on agite à bout de bras des chiffons ensanglantés ? Vriller une pique dans la chair qui gicle et se révulse, clouer des harpons, enfoncer des épées et des poignards sont des gestes étrangers à tout esthétisme.
Belles, les blessures béantes et les hémorragies ? Beaux, les vêtements souillés de sang comme des tabliers de boucher ? Un bourreau devient-il artiste parce qu’il torture et massacre au son d’une fanfare ? Et comment une pratique interdite sur 90 % du territoire national pourrait-elle être de l’art !?
La corrida ne se dit belle que pour occulter qu’elle est cruelle.
La corrida, " quintessence de la culture méridionale "
D’après les soutiens et défenseurs de la tauromachie, les Méridionaux seraient passionnés de corrida. Ce spectacle serait l’essence même de leur culture. Cette affirmation est un gigantesque mensonge.
Même en Espagne, où le dictateur FRANCO érigea la corrida en » fête nationale « , la plus grande partie de la population ne met jamais les pieds dans une arène. Seules quelques grandes villes comme Madrid, Séville, Bilbao comptent en leur sein quelques milliers de tauromaniaques passionnés. La plupart des cités espagnoles, quand elles organisent un spectacle taurin, ne le font que pour attirer les touristes étrangers. Le quotidien » La Vanguardia » écrit que la corrida, autrefois menacée par l’indignation des touristes, ne survit aujourd’hui que grâce à eux.
La corrida en France n’a été introduite qu’au milieu du 19 ème siècle, à l’instigation de l’épouse espagnole de Napoléon III , l’impératrice Eugénie de Montijo. Cette importation s’est faite en violation de la loi GRAMMONT qui réprimait les sévices envers les animaux domestiques. Et jusqu’en 1951, date à laquelle la loi GRAMMONT fut amendée, la corrida a été illégale et sanctionnée dans toute la France. Marchandise de contrebande, la corrida est vomie par la plupart des Français, non seulement au Nord mais aussi au Sud.
Sur plusieurs milliers de communes méridionales, une soixantaine seulement organise des corridas. Des départements entiers, même frontaliers de l’Espagne ne possèdent pas la moindre arène. Les communes françaises où des corridas ont lieu ne donnent en moyenne qu’une ou deux courses de taureaux par an, toujours en saison touristique, ce qui prouve que ces spectacles ne sont pas destinés à la population locale. Selon la revue tauromachique » Tendido « , dans la France entière, il n’y a pas plus de 5.000 amateurs de corrida. Quand une course rassemble 10.000 spectateurs (C’est rare mais cela arrive pendant les grandes ferias), la plupart de ces gens sont non pas des aficionados, mais des personnes qui croient » branché » de s’afficher dans ces spectacles ou bien ce sont des touristes curieux qui veulent voir une fois dans leur vie à quoi ressemble une corrida.
Sauvegarder " la race " des taureaux de combat
» L’abolition des corridas ferait disparaître une race de taureaux » nous objecte-t-on souvent.
Le milieu taurin ne lève pas le petit doigt contre tracteurs et camions. Peu lui importe que disparaissent toutes les races de chevaux de trait et de bœufs de labour. Le milieu taurin se moque de la biodiversité mais il pense que les anticorridas sont plus ou moins écologistes et il voudrait, avec un argument écologique, nous mettre en difficulté. Notre réponse est triple :
A/ Les bovins de corrida ne sont pas une espèce sauvage particulière. Ils appartiennent à la même espèce que la vache normande et le bœuf charolais. Au Moyen Age, pour les combats taurins, on puisait dans les troupeaux domestiques élevés pour le trait, le lait et la viande. Bien qu’on choisît les mâles en apparence les plus redoutables, ils n’avaient pas toujours la combativité exigée. Ce furent des monastères puis de grands propriétaires nobles qui, les premiers, eurent l’idée de sélectionner les mâles et les femelles les plus irritables, les plus combatifs, pour constituer et élever des troupeaux uniquement en vue des corridas. Ces bovins n’étant pas une espèce sauvage distincte du bœuf domestique, l’abolition des corridas ne ferait disparaître aucune espèce animale.
B/ Il existait en Espagne au 19 ème siècle une demi-douzaine de » races » de bovins de combat . Toutes ont été éliminées par les éleveurs au profit de la seule race andalouse jugée meilleure pour la tauromachie. Au sein de la souche andalouse, de sélections en sélections, on a éliminé presque tous les animaux qui ne descendaient pas du troupeau du célèbre éleveur VISTAHERMOSA. Parmi les diverses lignées issues de la vente et de la dispersion de cet illustre troupeau, il ne reste guère que la lignée IBARRA. D’après l’érudit Pierre DUPUY, directeur de la revue » Toros « , il reste actuellement moins de 1% du patrimoine génétique du 19ème siècle. C’est donc le milieu taurin lui-même qui, pour les besoins du torobusiness, taille à la tronçonneuse dans ce capital génétique. Sans le moindre souci de biodiversité.
C/ Par une sélection impitoyable, les éleveurs ont voulu produire des animaux très agressifs, très irritables qui soient aux bovins ce que le pitbull est aux chiens. Par une sélection impitoyable, on a voulu produire des animaux qui prennent des chiffons rouges pour leurs ennemis au lieu de charger les toreros. Par une sélection impitoyable, on a multiplié les accouplements consanguins et produit ainsi des animaux avec des tares. Beaucoup d’entre eux, loin de pouvoir soutenir un combat, tiennent tout juste sur leurs pattes. Les aficionados sont les premiers à déplorer la faiblesse de ces prétendus taureaux « de combat » qui s’effondrent lamentablement.
Ce n’est pas nous mais le milieu taurin lui-même qui organise, qui planifie la dégénérescence, la déchéance et, à terme, la disparition des derniers taureaux de combat.
Défoulement des pulsions
L’espèce humaine est animée par une pulsion agressive qui, si elle n’est pas maîtrisée, peut dégénérer en sadisme. Selon certains » penseurs « , la corrida, par son outrance sanguinaire, offrirait, aux spectateurs sadiques, des jouissances qui les dispenseraient de s’en prendre aux êtres humains . Le voluptueux spectacle du crime procurerait aux criminels en puissance une satisfaction suffisante pour qu’ils n’aient plus besoin de passer aux actes. Si cette thèse était vraie, nous tiendrions la solution pour supprimer la criminalité sadique. Mais la réalité est quelque peu différente comme on le verra par quelques exemples :
A/ Un cas typique de comportement meurtrier directement déclenché par un spectacle violent est précisément celui des » aficionados practicos « . Ce sont des spectateurs de corridas qui, sans vouloir devenir des toreros professionnels, veulent néanmoins eux aussi massacrer des bovins. lls satisfont cette pulsion au cours de corridas privées organisées chez des éleveurs. Leur inexpérience et leur maladresse provoquent d’horribles carnages.
B/ La montée de la violence juvénile est devenue une préoccupation nationale et même mondiale. La télévision déconseille aux parents de laisser voir aux enfants les films de violence. A-t-elle tort ?
C/ Sous l’empire romain, dans les amphithéâtres, le peuple entier se délectait à voir tuer du lever au coucher du soleil. Le matin était consacré aux combats entre hommes et fauves. Après ces massacres, les spectateurs, loin d’être rassasiés par le sang animal, exigeaient du sang humain et l’après-midi tout entière était consacrée à d’innombrables combats de gladiateurs. La passion pour ces tueries était-elle un simple et salubre goût du sport ? Non : contrairement aux Grecs, les Romains méprisaient le sport. D’ailleurs, après chaque combat, les spectateurs exigeaient souvent que le gladiateur vaincu fût égorgé par son vainqueur.
Était-ce là du sport ? Par un raffinement de cruauté, les combattants avaient parfois les yeux bandés. Ils frappaient à l’aveuglette et ne pouvaient parer les coups qu’ils recevaient. Où était le sport dans de pareilles boucheries ? Des esclaves entretenaient des brasiers et brûlaient au fer rouge, à la demande du public, tout gladiateur qui ne montrait pas assez d’ardeur au combat.
Gorgés de tels spectacles, plusieurs dizaines de jours par an, les Romains devinrent-ils doux et pacifiques ? Au contraire. De tous les peuples antiques, ils furent le plus cruel, le plus belliqueux, crucifiant leurs esclaves par milliers, rasant des villes entières comme Carthage, guerroyant sans trêve contre le monde entier pendant près de mille ans. Tout se passe comme si les cruautés de l’amphithéâtre, loin d’apaiser l’agressivité, avaient été un instrument aux mains de l’État romain pour endurcir la population, la rendre féroce, former un peuple cruel et guerrier.
Or, la corrida ne se contente pas de banaliser la torture et la mort violente. Elle les exalte, les vante, prétend les élever au rang des beaux arts. Les bourreaux sont promus héros et artistes, adulés par presque tous les médias. Que ferait-on de plus si on voulait inciter au sadisme ?
Les anti corridas sont intolérants
Qu’on ait en musique, en peinture ou en littérature des goûts opposés les uns des autres n’est pas dérangeant. Que l’on adore Albert Camus, Le Corbusier, Pierre Soulages et Serge Gainsbourg ou qu’au contraire on les déteste, peu importe car cela ne fait de mal à personne. Il n’en va pas de même quand on réclame notre tolérance pour les corridas. Car le privilège qui est exigé là, c’est de pouvoir en toute impunité torturer à mort des êtres innocents et sensibles.
La liberté des uns s’arrête là où commencent les droits d’autrui.