C’est en 2014 que Boujan-sur-Libron a organisé pour la première fois de son histoire une corrida formelle. Depuis, la commune se rêve grande ville taurine et organise, dans ses petites arènes rurales, des spectacles tauromachiques avec mises à mort. La « tradition » taurine de Boujan est donc très récente.
En juillet prochain se tiendra là-bas la 6ème édition de la «Feria Toros y Campo», principalement consacrée cette année encore à la novillada. Au programme : une « tienta », deux novilladas « piquées » et une « non piquée ».
Novillada "piquée" et "non piquée"
Une novillada, c’est un spectacle de tauromachie espagnole qui met face à face un torero débutant (volontaire) et de jeunes animaux (non volontaires).
Si l’apprenti matador détient déjà quelque expérience, il est « novillero » et il peut se produire dans une novillada « piquée » au cours de laquelle il doit mettre à mettre à mort un animal de 3 à 4 ans appelé « novillo » ou parfois un animal adulte mais « déclassé » comme on déclasse un lot d’outils défectueux. Dans le jargon tauromachique, le terme pour qualifier un tel animal est d’ailleurs « desecho » (= défectueux) : il présente une malformation physique qui le rend impropre à sortir en corrida formelle.
Le spectacle d’une novillada piquée s’ouvre par un « tercio de piques » mené par un ou deux « picadors », cavaliers dont la tâche consiste à affaiblir le taureau avant qu’il ne passe entre les mains du novillero : du haut de leur monture, il leur est relativement facile de viser le garrot – espace entre les épaules – et d’y enfoncer la pointe en acier (la « puya ») qui termine la longue perche dont ils sont équipés.
Au bout d’un certain nombre de novilladas piquées, le novillero pourra prétendre à devenir matador confirmé et prendre part à des corridas.
En revanche, si l’apprenti matador est très peu expérimenté, il ne peut toréer et mettre à mort qu’un animal très jeune (« becerro » de moins de 3 ans). Il officie alors dans une novillada dite « non piquée », car la faiblesse de l’animal rend inutile le recours à la pique en acier des picadors.
Déclin des novilladas
Les novilladas sont des spectacles bon marché car moins couteux à produire qu’une corrida formelle. Pourtant leur nombre s’est effondré depuis 2007 en Espagne comme en France.
Pour Francis Fabre, directeur de la publication de la revue Toros, cet effondrement s’explique par la désaffection du public et l’augmentation des coûts de production. Il écrit : « Equilibrer le budget d’une novillada devient quasiment impossible » [i].
Même analyse dans le bilan de la temporada 2019 que dresse la revue Toro Mag où l’on peut lire : « Les 32 novilladas de 2019 pâtissent surtout du manque de spectateurs. (…) C’est le coût d’ensemble du spectacle qui reste l’épine dans le pied de la novillada » [ii].
Organiser des spectacles sans torero-vedette à un moment où les subventions se font rares et où la désaffection du public pour la tauromachie espagnole en général touche particulièrement cette forme de divertissement en France comme de l’autre côté des Pyrénées, c’est s’exposer à des pertes financières. Car bien qu’elle ait des adeptes et propose des billets moins chers qu’en corrida, une novillada n’attire jamais grand public. Elle apparaît à beaucoup comme une mini-corrida : le taureau n’ayant pas atteint sa maturité n’offre pas beaucoup de difficultés et « l’affrontement » présente donc moins d’intérêt pour les aficionados.
Ce déclin de la novillada n’a pas manqué d’alerter les responsables de la tauromachie espagnole en France, conscients que la chute du nombre de novilladas est un grave problème qui met en cause l’avenir même de la corrida, car sans novilleros il n’y aura pas de futurs « maestros ». Les novilladas sont des courses d’apprentissage pour les apprentis toreros. Priver ces derniers de la satisfaction de recevoir les applaudissements du public et de la possibilité de se faire éventuellement remarquer comme futur matador-vedette, c’est voir les jeunes se détourner des « écoles » taurines, délaisser les arènes, et hâter la mort de la corrida par manque de sang neuf.
Féria "Toros y Campo"
Ainsi, du 01 au 03 juillet prochains, rien n’aura été négligé à Boujan-sur-Libron pour tenter d’assurer la survie de la mise à mort de taureaux dans les arènes.
Attentifs comme il se doit aux préférences de l’« aficion » locale, l’association « Toros y Campo » organisatrice de l’évènement a sélectionné des élevages en mesure d’assurer un spectacle « toriste », qui donne la priorité aux taureaux « durs » et rebelles plutôt qu’aux fioritures esthétiques prisées des « toreristes ». Et l’expérience ayant prouvé qu’il serait illusoire d’espérer voir des arènes de 3ème catégorie faire le plein si rien d’autre que des novilladas n’est proposé, ces trois journées seront également consacrées à la convivialité en famille ou entre amis : musique, restauration, abreuvement et bien sûr, des animations pour la cible privilégiée que sont les enfants, tout a été pensé pour que la fête de la torture de taureaux soit une réussite.
Le COLBAC se manifestera à cette occasion pour rappeler qu’il est inacceptable de massacrer des animaux pour satisfaire le plaisir de certains et flatter la vanité d’autres.
[i] Francis Fabre « Il faut sauver la novillada ! », Toros n°2153, oct. 2021, p. 3
[ii] « Novilladas, vers la catastrophe Le mundillo regarde couler le navire », Toro Mag n°101, janv. 2020, p.33
Photos © COLBAC