RENCONTRES « ANIMAL ET SOCIETE »
Atelier intergroupe « Corrida et jeux taurins »
Propositions d’action adressées par Robert CLAVIJO (président du COLBAC)
à l’attention du président de l’atelier intergroupe M. Michel LEJEUNE
en vue de la réunion du 05 mai 2008.
Monsieur le Président
Il serait vain d’élaborer, pour améliorer le sort des animaux d’arènes, de nouvelles dispositions législatives et/ou réglementaires si elles devaient être aussi peu respectées, aussi peu mises en œuvre que les textes déjà promulgués. Ma première demande est donc que soient effectivement appliquées les dispositions existantes. Je reprends ci-après en les complétant les propositions que j’ai déjà faites oralement le 23/04/08 :
Abolition du trident
Un décret du 01/10/80, dans son article 14, interdit l’aiguillon pour exciter ou faire se déplacer les animaux. Or il est de notoriété publique qu’en Camargue et dans tout le Midi, les cavaliers qui gardent les bovins destinés à la corrida ou aux autres jeux taurins utilisent des tridents pour pousser et conduire leurs troupeaux. Le décret interdisant l’aiguillon le définit ainsi : « tout objet terminé à l’une de ses extrémités par une fine pointe métallique ou une lame acérée. » Le trident des gardians correspond totalement à cette définition puisqu’il est terminé par 3 fines pointes métalliques qui sont en même temps 3 lames acérées. Circonstance aggravante : le trident est un aiguillon triple. Les préfectures méridionales savent tout cela mais elles ne font rien contre le trident, ayant apparemment reçu consigne de fermer les yeux.
Abolition du marquage au fer rouge
Parmi tous les éleveurs de chevaux et de bovins, les manadiers (qui élèvent chevaux et bovins de race camarguaise pour divers jeux taurins) et les ganaderos (qui élèvent pour les corridas des bovins de race espagnole et parfois des chevaux) sont les seuls qui éprouvent le besoin de marquer leurs bêtes au fer rouge. Si cette pratique était indispensable pour identifier les animaux, les autres éleveurs l’auraient adoptée eux aussi. Or même les éleveurs des Alpes et des Pyrénées qui, tout l’été, laissent leur bétail errer sur les alpages sans surveillance, avec le risque que se mélangent des bêtes de différents troupeaux, même ces éleveurs qui ont un besoin évident de marquer leurs animaux ne le font pas au fer rouge. C’est donc sans nécessité que chevaux et bovins sont marqués à feu dans les manades et les ganaderias. On ne brûle pas seulement le poil car le poil brûlé repousse. Pour que la marque subsiste jusqu’à la mort et soit bien visible même de loin, il est indispensable de brûler la peau en profondeur jusqu’à la racine des poils. Si les chevaux ne subissent qu’une seule brûlure, les bovins de corrida en subissent 4 successivement : la marque de l’éleveur sur une cuisse, la marque du syndicat auquel adhère l’éleveur sur la croupe, la date de naissance sur une épaule et le numéro de « camada » sur un flanc. Comme si toutes ces marques ne suffisaient pas, chaque manadier, chaque ganadero tient en plus à mutiler l’oreille de ses bovins au couteau ou au ciseau afin de lui donner une forme particulière, propre à chaque éleveur. Cette mutilation est appelée « escoussure ». Toutes ces opérations sont effectuées avec la plus grande brutalité, sans la moindre anesthésie. Il s’agit de sévices inutiles, de cruautés gratuites perpétrées contre des animaux domestiques et perpétrées publiquement car ferrade et escoussure sont considérées comme des spectacles que les voisins et parfois des touristes viennent voir. Les préfectures, elles, ferment les yeux. Sur ordre de qui ?
Abolition du bistournage
Les « taureaux » destinés aux courses camarguaises sont en réalité des bœufs qui ont été « bistournés » c’est à dire castrés à l’aide d’une pince. Très douloureuse, on s’en doute, l’opération est pratiquée sans aucune anesthésie sur des animaux entravés et immobilisés.
Le bistournage est-il indispensable ? Non : en course camarguaise comme en corrida, l’agressivité maximale est la qualité prioritairement exigée des bovins. Sans cette agressivité, il ne peut y avoir ni combat ni
spectacle. Or la castration ne peut que diminuer l’agressivité des mâles. Certains éleveurs prétendent que, sans castration, les taureaux s’entretueraient. L’objection n’est pas convaincante : les taureaux de race ibérique destinés aux corridas ne sont pas moins combatifs que leurs congénères camarguais. Pourtant les taureaux ibériques ne sont jamais castrés. Une fois la hiérarchie établie dans le troupeau, ils coexistent pacifiquement, en animaux grégaires qu’ils sont, élevés ensemble dans les même enclos.
Le bistournage donne parfois lieu à un spectacle dont la presse locale se fait l’écho. Les préfectures méridionales sont donc parfaitement informées de cette pratique particulièrement cruelle mais elles préfèrent (sur consigne venue de plus haut ?) fermer les yeux.
Interdiction de commercialiser la viande des taureaux tués en corrida
Le droit français exige que la viande vendue en boucherie et dans les restaurants provienne d’animaux préparés, insensibilisés, saignés et tués selon des règles précises dans des abattoirs autorisés. Ce n’est pas le cas des taureaux trucidés en corrida. La commercialisation de leur chair devrait donc être rigoureusement interdite et réprimée. Or cette viande est vendue ouvertement en boucherie, y compris dans les rayons boucherie de certains magasins à grande surface et dans certains restaurants notamment pendant les ferias.
L’encéphalopathie spongiforme bovine (E.S.B.) se transmet aux hommes lorsqu’ils mangent des organes contaminés, notamment cervelle, moelle épinière, muscles voisins des vertèbres. Ces organes ne doivent donc jamais être mangés. De plus quand des bovins sont blessés au cerveau ou à la moelle épinière, la circulation de leur sang peut disperser dans tout l’organisme, avec les débris des cellules lésées, les prions responsables de la maladie. C’est pourquoi le 29/06/00 (décision 2000/418/C.E.) la Commission des communautés européennes a interdit aux abattoirs de frapper les bovins aux organes nerveux centraux. Or il se trouve qu’en corrida les blessures infligées aux taureaux à coups de piques, de banderilles, d’épée et de poignard sont toutes faites à la moelle épinière (organe nerveux central) ou tout près d’elle. Les coups ainsi donnés au même animal sont multiples. Le 18/10/98 dans l’arène de Béziers un novillo (taurillon) a été achevé, après plusieurs estocades, par une trentaine de coups de poignard à la nuque. Ce mode d’abattage déchiquette la moelle épinière et les muscles contigus, mettant en circulation dans le sang des débris de tissus nerveux centraux qui gagnent tout l’organisme. Plus que le coup unique donné dans les abattoirs, les coups multiples infligés en corrida peuvent disperser des prions dangereux dans toute la chair de l’animal. Aux termes de la décision 2000/418/C.E., la viande des bovins ainsi abattus ne doit plus être mangée mais incinérée. Dans un avis rendu le 01/06/01 l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) estime elle aussi que la viande des taureaux tués en corrida ne doit pas « entrer dans la chaîne alimentaire ».
Malgré tout ce qui précède, le trafic de viande de taureau tué en corrida se poursuit au grand jour sans être ni interdit ni réprimé. Les intérêts financiers du milieu taurin passent avant le respect du droit et passent même avant la santé des consommateurs
Rendre son sens d’origine au concept
« Tradition locale ininterrompue »
Entre 1850 et 1951, en application de la loi Grammont, la corrida a été complètement hors la loi sur tout le territoire de la République française. L’Etat a-t-il fait respecter cette interdiction ? Non : c’est justement pendant ces 101 ans d’interdiction légale que la corrida a été introduite en contrebande sur le territoire français et que les corridas se sont multipliées un peu partout y compris à Paris, quasiment sous les fenêtres du gouvernement. Pendant un siècle les organisateurs de corridas ont prospéré comme si leur activité était légale. Pour sanctionner ces hors-la-loi les pouvoirs publics ont eu les bras étrangement cassés. Mieux : beaucoup d’hommes politiques ont ouvertement nargué, piétiné, violé la loi Grammont. Celle-ci comportait une amende ou une peine de prison pour ceux qui la violeraient. Au mieux on a infligé aux coupables une légère amende (entre 5 et 15 francs) mais on s’est bien gardé de les emprisonner.
Entre 1951 et 1963 l’Etat a décidé, toute honte bue, de capituler officiellement devant le milieu taurin en légalisant partiellement la corrida désormais autorisée lorsqu’une « tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». Cette capitulation n’a malheureusement pas été la dernière comme on va voir :
Les débats parlementaires qui eurent lieu entre 1951 et 1963 sur les modifications successives de la loi Grammont montrent que le législateur identifiait alors « tradition locale » avec l’existence d’une arène en dur, seule preuve tangible de ladite tradition. Et d’autre part, pendant les premières décades suivant la légalisation partielle des corridas, les tribunaux ont considéré que le mot «ininterrompue » impliquait des corridas chaque année. Par la suite les tribunaux n’ont cessé de dériver. Prenons 3 exemples qui illustrent 3 étapes :
1- les communes de Fontvieille, Chateaurenard et Maussane, qui n’avaient jamais accueilli auparavant de corrida, ont été autrefois condamnées pour en avoir organisé une. Ces 3 communes sont à quelques kilomètres d’Arles, ville de tradition par excellence. Mais les juges ont estimé que tradition locale signifie tradition communale et que la proximité des 3 prévenues avec Arles ne les autorisait pas à accueillir des corridas.
2- A l’inverse, ces dernières années, la justice a autorisé les corridas à Carcassonne, chef-lieu d’un département où n’existe pas la moindre arène et où aucune corrida n’avait eu lieu depuis un demi-siècle.
3- La cour d’appel de Toulouse dans un arrêt du 03/04/00 prétend même que le bénéfice de la tradition locale ininterrompue doit être reconnu à tout le Midi « entre le pays d’Arles et le pays basque» !!!
Il est grand temps d’arrêter cette dérive des tribunaux et de revenir à une interprétation honnête des termes de la loi :
Dans le code pénal, art 521-1, alinéa 3, les mots « locale » et « localité » (utilisés le premier pour les courses de taureaux et le second pour les combats de coqs) ne désignent ni des départements, ni des régions administratives, ni a fortiori le Midi tout entier, mais des communes, des villes, des villages.
Une ville ne peut prétendre avoir une tradition tauromachique espagnole si elle ne possède pas d’arène en dur.
Le mot « ininterrompue » implique des corridas chaque année.
Il appartient au gouvernement, par décret ou circulaire, de rappeler le sens que le législateur a donné aux mots « tradition locale ininterrompue ». Mais le gouvernement veut-il arrêter la dérive ?
Conclusion
Depuis de longues années les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, ont promulgué des lois à tour de bras pour faire croire qu’ils traitaient les problèmes dont ils avaient la charge. L’inflation législative et réglementaire est devenue consternante. Mais le plus souvent les problèmes n’ont pas été résolus attendu que ces lois le plus souvent n’ont pas été mises en œuvre. C’est particulièrement vrai en tauromachie, domaine où l’Etat, depuis 1850, n’a pas cessé de reculer devant la pression du lobby taurin. C’est pourquoi nous sommes extrêmement méfiants sur les suites qui seront données à l’atelier inte
rgroupe «Corrida et jeux taurins ». La convocation de cet intergroupe prépare-t-elle de nouvelles concessions au milieu taurin ?
Si le gouvernement veut nous persuader qu’il cherche à améliorer le sort des animaux, qu’il commence par faire respecter et appliquer les lois et règlements déjà promulgués. Dans le cas contraire il nous sera impossible de croire à sa bonne volonté.
Certes nous aimerions que soient complétés et améliorés les textes protégeant l’animal. Certes nous aimerions qu’enfants et adolescents ne soient plus exposés aux violences des spectacles tauromachiques. Certes nous aimerions que soient interdites ces écoles taurines totalement financées par fonds publics où on ose apprendre à des enfants à torturer et à tuer à l’arme blanche. Nous aimerions que le milieu taurin ne soit plus autorisé à pénétrer en milieu scolaire pour y faire sa publicité commerciale et recruter ses futurs clients. Certes nous aimerions que le transport des taureaux de combat, souvent très long et toujours traumatisant, soit à la fois abrégé et amélioré. Nous aimerions que soient prohibées des pratiques frauduleuses telles que l’afeitado (cornes écourtées à la scie), l’administration de drogues diverses soit pour affaiblir un taureau jugé redoutable, soit au contraire pour doper des taureaux invalides et enfin la suralimentation au « pienso compuesto »(granulés industriels où on trouve même de la farine de poisson). Les taureau acquièrent ainsi une masse qui impressionne le public mais leur obésité les rend incapables de soutenir un combat. Certes nous aimerions enfin qu’avec l’interdiction totale de la corrida dans toute la France, la torture et la mort cessent d’être un divertissement et un spectacle. Mais à quoi bon promulguer de nouvelles lois, de nouveaux règlements si ces nouveaux textes sont aussi peu respectés, aussi peu mis en œuvre que les textes déjà promulgués ?
Le chef de l’Etat dit vouloir rendre à ses concitoyens la fierté d’être français. Nous avons en effet honte de vivre dans une république bananière. Nous voulons d’abord que la France redevienne un Etat de droit.
(Ici se termine le courrier du COLBAC adressé au président de l’atelier « Corrida et jeux taurins »)