Plusieurs toreros ont été récemment victimes de blessures horribles. La nature ayant horreur du vide, il est donc facile d’expliquer pourquoi ils sont souvent défoncés près du néant crânien. Parfois c’est plus bas, mais tout aussi profond.
Le 21 mai 2010 à Madrid une corne s’enfonce dans la gorge de Julio Aparicio, traverse la mâchoire inférieure et sort par la bouche. Le taureau secoue plusieurs fois l’homme ainsi embroché avant de l’abandonner sur le sable.
Le 07 octobre 2011 à Saragosse une autre corne s’enfonce sous l’oreille gauche de Juan Jose Padilla, traverse une partie du crâne et sort par l’orbite gauche après avoir causé les dégâts qu’on devine aux organes de l’ouïe et de la vue.
Les 2 blessés ont échappé à la mort grâce à une prise en charge chirurgicale immédiate.
Vive réaction de la presse taurine qui a publié des photos en gros plan des 2 coups de corne avec des commentaires apitoyés et parfois larmoyants. Larmes de crocodiles. Ces chroniqueurs taurins qui affectent la compassion n’ont-ils pas acheté leurs billets de corrida pour voir des hommes risquer leur peau ? N’exigent-ils pas que les toreros prennent le maximum de risques pour faire vibrer la foule assise sur les gradins ?
Manuel Benitez dit « El Cordobes » ne devait-il pas sa popularité à son inconscience qui lui faisait prendre des risques insensés et qui lui valut d’innombrables blessures ? Jose Tomas, le monstre sacré actuel de la corrida, dont le seul nom suffit pour remplir les plus grandes arènes, ne doit-il pas sa réputation au fait qu’il torée dans les cornes, prenant ainsi continuellement des risques que lui seul accepte de prendre ? A l’inverse quand un torero trop prudent refuse le corps à corps avec l’animal, il s’expose à entendre des spectateurs lui crier le vieux proverbe : « Para torear y casarse hay que acercarse. » (Pour toréer et se marier il faut s’approcher). Les spectateurs ne crient-ils pas au scandale quand les toreros, pour réduire le danger qu’ils courent, droguent les taureaux ou font épointer leurs cornes? Pourquoi les amateurs de corrida exigent-ils des taureaux en pleine forme, athlétiques, agressifs, dangereux, aux cornes longues et aiguës sinon pour que des hommes se fassent étriper ?
Voici ce qu’écrivait en 1819 « Le journal des P.O. » relatant une course de taureaux à Arles sur Tech : « Une vingtaine d’animaux parurent tour à tour et les désastres se bornèrent à un pantalon déchiré. On assure cependant qu’il n’en est pas toujours ainsi et que, pour rendre une course vraiment belle, quelques bras ou jambes cassés sont de rigueur. Il n’est donc pas étonnant que celle-ci n’ait paru que fort insignifiante. » Ce qui rendait intéressante une course de taureaux en 1819 c’était donc les victimes humaines.
Les choses n’ont pas fondamentalement changé depuis cette lointaine époque. Voici ce qu’écrivait la revue « Toros » dans son numéro du 11/02/11 à propos des retransmissions de corridas à la télévision : « Qu’un torero se fasse accrocher et voilà ressortie toute la panoplie des procédés, ralentis, gros plans, reprises, qui finissent par devenir insupportables de voyeurisme…dans tout aficionado dort un peu de cet Anglais qui suivait toutes les représentations d’un cirque dans l’espoir d’y voir un jour le dompteur dévoré par un lion. »
Bien entendu un amateur de tauromachie admettra difficilement qu’il fréquente les arènes non seulement pour y voir massacrer des bovins mais aussi avec le (secret ?) espoir qu’un torero se fasse embrocher.